Les brûlures cutanées représentent un défi majeur en médecine d'urgence et en chirurgie plastique. Ces lésions, pouvant aller d'une simple rougeur à une destruction totale des tissus, nécessitent une prise en charge rapide et adaptée pour minimiser les séquelles et optimiser la guérison. Qu'elles soient causées par la chaleur, des produits chimiques, l'électricité ou des radiations, les brûlures impliquent une compréhension approfondie de leur physiopathologie pour garantir un traitement efficace. Dans ce contexte, il est crucial d'explorer les mécanismes sous-jacents, les différentes classifications et les approches thérapeutiques innovantes qui façonnent la prise en charge moderne des patients brûlés.
Physiopathologie des brûlures cutanées
La physiopathologie des brûlures cutanées est complexe et multifactorielle. Lorsque la peau est exposée à une chaleur excessive ou à un agent caustique, une cascade d'événements cellulaires et moléculaires se déclenche. La destruction thermique des cellules provoque une libération massive de médiateurs inflammatoires, entraînant une vasodilatation locale et une augmentation de la perméabilité vasculaire. Ce phénomène est à l'origine de l'œdème caractéristique des brûlures.
Au niveau tissulaire, on observe trois zones distinctes : la zone de coagulation (nécrose irréversible), la zone de stase (tissus potentiellement viables mais à risque de nécrose) et la zone d'hyperhémie (inflammation réversible). La compréhension de ces zones est cruciale pour le traitement, car l'objectif principal est de préserver au maximum la zone de stase pour limiter l'étendue des dommages.
L'impact systémique des brûlures étendues ne doit pas être sous-estimé. Une perte importante de liquide et d'électrolytes peut conduire à un choc hypovolémique, tandis que la libération de cytokines pro-inflammatoires peut provoquer un syndrome de réponse inflammatoire systémique (SRIS). Ces complications soulignent l'importance d'une prise en charge globale et rapide du patient brûlé.
Classification des brûlures selon leur profondeur
La classification des brûlures selon leur profondeur est essentielle pour déterminer le pronostic et orienter le traitement. Cette classification se base sur l'atteinte des différentes couches de la peau et des tissus sous-jacents.
Brûlures du premier degré (épidermiques)
Les brûlures du premier degré, également appelées brûlures épidermiques, n'affectent que la couche la plus superficielle de la peau : l'épiderme. Elles se caractérisent par une rougeur, une légère enflure et une douleur modérée. Le coup de soleil classique est l'exemple type de ce degré de brûlure. Ces lésions guérissent généralement en 3 à 5 jours sans laisser de cicatrice, grâce à la capacité de régénération naturelle de l'épiderme.
Brûlures du deuxième degré superficiel
Les brûlures du deuxième degré superficiel atteignent l'épiderme et la partie supérieure du derme. Elles se manifestent par l'apparition de phlyctènes (cloques) remplies de sérosité, une rougeur intense et une douleur vive. La sensibilité est préservée et le test du pli cutané reste positif. Ces brûlures cicatrisent en 10 à 14 jours, généralement sans séquelles majeures, grâce à la préservation des follicules pileux et des glandes sudoripares qui permettent une réépithélialisation spontanée.
Brûlures du deuxième degré profond
Dans les brûlures du deuxième degré profond, l'atteinte s'étend plus profondément dans le derme. L'aspect clinique est variable : la peau peut apparaître rouge foncé ou blanchâtre, avec des phlyctènes qui se rompent facilement. La douleur est moins intense en raison de la destruction partielle des terminaisons nerveuses. La cicatrisation est plus longue, pouvant prendre 3 à 6 semaines, et nécessite souvent une intervention chirurgicale pour éviter les séquelles hypertrophiques.
Brûlures du troisième degré
Les brûlures du troisième degré, les plus graves, détruisent l'intégralité de l'épaisseur de la peau, atteignant parfois les tissus sous-cutanés, les muscles et les os. La peau prend un aspect caractéristique : blanchâtre, brunâtre ou noirâtre, sèche et cartonnée. Ces brûlures sont indolores en raison de la destruction totale des terminaisons nerveuses. La cicatrisation spontanée est impossible et une greffe de peau est toujours nécessaire pour obtenir une fermeture de la plaie.
La classification précise du degré de brûlure est un art qui nécessite une expertise clinique importante, car elle conditionne directement la stratégie thérapeutique à adopter.
Étiologies et mécanismes des brûlures
Les brûlures peuvent résulter de divers mécanismes, chacun ayant ses particularités en termes de lésions et de prise en charge. Comprendre ces différentes étiologies est crucial pour adapter le traitement et prévenir les complications spécifiques.
Brûlures thermiques : flammes et liquides chauds
Les brûlures thermiques sont les plus fréquentes. Elles sont causées par le contact direct avec une source de chaleur, comme des flammes, des liquides bouillants, des vapeurs ou des objets chauds. La gravité de la brûlure dépend de la température de l'agent causal et de la durée d'exposition. Les liquides chauds, par exemple, provoquent souvent des brûlures plus étendues mais moins profondes que les flammes, qui peuvent rapidement atteindre le troisième degré.
Dans le cas des brûlures par flammes, il est crucial de vérifier l'absence de lésions par inhalation, particulièrement dangereuses car pouvant entraîner un œdème des voies aériennes supérieures. Les brûlures thermiques nécessitent un refroidissement immédiat pour limiter la progression de la lésion en profondeur.
Brûlures chimiques : acides et bases
Les brûlures chimiques sont causées par le contact avec des substances corrosives, principalement des acides ou des bases. Contrairement aux brûlures thermiques, les lésions chimiques peuvent continuer à progresser tant que l'agent causal n'est pas complètement éliminé. Les acides provoquent généralement une nécrose de coagulation, tandis que les bases entraînent une nécrose de liquéfaction, potentiellement plus profonde.
La prise en charge immédiate consiste en un lavage abondant et prolongé à l'eau, pendant au moins 30 minutes, voire plus pour certains produits comme l'acide fluorhydrique. L'utilisation de solutions neutralisantes est généralement déconseillée car elle peut générer une réaction exothermique aggravant les lésions.
Brûlures électriques : courant alternatif et continu
Les brûlures électriques sont particulièrement insidieuses car les lésions visibles en surface ne reflètent souvent pas l'étendue des dommages internes. Le passage du courant à travers le corps peut causer des lésions profondes, notamment musculaires et nerveuses, ainsi que des troubles du rythme cardiaque. On distingue les brûlures par flash électrique , superficielles, des véritables brûlures par passage de courant , potentiellement très graves.
La prise en charge des brûlures électriques nécessite une surveillance cardiaque systématique et une évaluation approfondie des dommages tissulaires profonds, souvent sous-estimés initialement. Le risque de syndrome des loges est particulièrement élevé et nécessite une vigilance accrue.
Brûlures par rayonnement : soleil et radiothérapie
Les brûlures par rayonnement incluent les coups de soleil (rayons UV) et les lésions induites par la radiothérapie. Les coups de soleil sont généralement superficiels mais peuvent être étendus. Les brûlures radiologiques, quant à elles, présentent la particularité d'apparaître progressivement, parfois plusieurs jours après l'exposition, et peuvent évoluer vers des lésions chroniques difficiles à traiter.
La prévention joue un rôle crucial dans ce type de brûlures, notamment par l'utilisation de protections solaires adaptées et le respect strict des protocoles de radioprotection en milieu médical.
Évaluation clinique et calcul de la surface corporelle brûlée
L'évaluation précise de l'étendue des brûlures est cruciale pour déterminer la gravité globale et guider la prise en charge thérapeutique, en particulier la réanimation hydro-électrolytique. Plusieurs méthodes sont utilisées pour calculer la surface corporelle brûlée (SCB), chacune ayant ses avantages et ses limites.
Règle des 9 de wallace
La règle des 9 de Wallace est une méthode rapide et simple pour estimer la SCB chez l'adulte. Elle divise le corps en régions représentant chacune 9% (ou un multiple de 9%) de la surface corporelle totale :
- Tête et cou : 9%
- Chaque membre supérieur : 9%
- Face antérieure du tronc : 18%
- Face postérieure du tronc : 18%
- Chaque membre inférieur : 18%
- Périnée : 1%
Cette méthode, bien que pratique en situation d'urgence, peut manquer de précision, notamment chez les enfants où les proportions corporelles diffèrent significativement de celles des adultes.
Table de lund et browder
La table de Lund et Browder offre une évaluation plus précise, prenant en compte les variations de proportions corporelles en fonction de l'âge. Elle divise le corps en segments plus petits et attribue des pourcentages spécifiques selon l'âge du patient. Cette méthode est particulièrement utile pour évaluer les brûlures chez les enfants, où la tête représente une proportion plus importante de la surface corporelle totale.
L'utilisation de cette table nécessite un peu plus de temps mais fournit une estimation plus fiable de la SCB, essentielle pour ajuster précisément les protocoles de réanimation.
Méthode de la paume de la main
La méthode de la paume de la main est une technique d'estimation rapide, particulièrement utile pour les brûlures de petite taille ou dispersées. Elle se base sur le principe que la surface de la paume de la main du patient (doigts inclus) représente environ 1% de sa surface corporelle totale.
Cette méthode est pratique pour évaluer rapidement des brûlures de faible étendue ou pour compléter l'évaluation des zones difficiles à estimer avec les autres méthodes. Cependant, elle peut manquer de précision pour les brûlures étendues.
L'évaluation précise de la surface corporelle brûlée est un art qui combine l'utilisation de ces différentes méthodes avec l'expérience clinique du praticien.
Prise en charge immédiate des brûlures graves
La prise en charge immédiate des brûlures graves est cruciale et nécessite une approche systématique pour stabiliser le patient et prévenir les complications potentiellement mortelles. Cette prise en charge initiale s'articule autour de plusieurs axes prioritaires.
Protocole ABCDEF en réanimation
Le protocole ABCDEF est une approche structurée utilisée en réanimation pour les patients gravement brûlés :
- A irway (Voies aériennes) : Sécuriser les voies aériennes, en particulier en cas de suspicion de brûlures par inhalation.
- B reathing (Respiration) : Assurer une oxygénation adéquate, parfois nécessitant une ventilation mécanique.
- C irculation : Établir un accès vasculaire et débuter la réanimation liquidienne.
- D isability (Évaluation neurologique) : Évaluer l'état de conscience et gérer la douleur.
- E xposure (Exposition) : Évaluer l'étendue des brûlures et protéger le patient de l'hypothermie.
- F luids (Fluides) : Ajuster la réanimation liquidienne selon les besoins du patient.
Ce protocole permet une évaluation rapide et systématique des fonctions vitales, assurant que tous les aspects critiques de la prise en charge sont adressés dans l'ordre de priorité.
Formule de parkland pour la réhydratation
La formule de Parkland est largement utilisée pour calculer les besoins en liquides des patients gravement brûlés pendant les premières 24 heures :
Volume total (mL) = 4 x Poids (kg) x SCB (%)
Où SCB représente la surface corporelle brûlée. La moitié de ce volume est administrée dans les 8 premières heures, et le reste sur les 16 heures suivantes. Cette formule sert de guide initial, mais le débit de perfusion doit être ajusté en fonction de la réponse clinique du patient, notamment le débit urinaire.
Il est important de noter que cette formule n'est qu'un point de départ et que la réanimation liquidienne doit être personnalisée et ajustée en continu selon l'évolution clinique du patient.
Analgésie et s
édation du grand brûléL'analgésie et la sédation du grand brûlé sont des aspects cruciaux de la prise en charge, visant à soulager la douleur intense et l'anxiété associées aux brûlures graves. La gestion de la douleur est complexe, nécessitant souvent une approche multimodale :
- Opioïdes : morphine ou fentanyl en perfusion continue, avec des bolus pour les pics douloureux
- Kétamine : à faibles doses pour son effet analgésique et anti-hyperalgésique
- Benzodiazépines : pour l'anxiolyse et la sédation, souvent en association avec les opioïdes
- Anesthésiques locaux : pour les soins locaux et les changements de pansements
La titration et l'ajustement fréquent des doses sont essentiels pour maintenir un équilibre entre le confort du patient et la préservation de ses fonctions respiratoires et cognitives. L'utilisation de scores de douleur adaptés aux patients brûlés permet une évaluation plus précise et un ajustement thérapeutique optimal.
Prévention du syndrome de compartiment
Le syndrome de compartiment est une complication redoutable des brûlures circulaires profondes, pouvant entraîner des lésions ischémiques irréversibles. La prévention repose sur plusieurs stratégies :
- Surveillance étroite de la pression dans les compartiments musculaires à risque
- Élévation des membres atteints pour réduire l'œdème
- Escarrotomies précoces en cas de brûlures circulaires profondes
- Fasciotomies en cas d'augmentation avérée de la pression intracompartimentale
La décision d'une intervention chirurgicale de décompression doit être prise rapidement, basée sur des signes cliniques (douleur disproportionnée, paresthésies) et des mesures de pression intracompartimentale. Une intervention précoce peut sauver le membre et prévenir des séquelles fonctionnelles majeures.
Traitements spécifiques et innovations thérapeutiques
La prise en charge des brûlures a considérablement évolué ces dernières années, avec l'émergence de nouvelles technologies et approches thérapeutiques visant à améliorer la cicatrisation et réduire les séquelles.
Xénogreffes et allogreffes cutanées
Les xénogreffes (greffes de peau d'origine animale, généralement porcine) et les allogreffes (greffes de peau humaine de donneur) sont utilisées comme couvertures temporaires des brûlures étendues. Elles offrent plusieurs avantages :
- Protection contre les infections et la déshydratation
- Réduction de la douleur et de la perte protéique
- Stimulation de la granulation et préparation du lit de la plaie pour une greffe définitive
Bien que temporaires, ces greffes jouent un rôle crucial dans la phase initiale du traitement des brûlures étendues, permettant de gagner du temps pour la préparation de greffes autologues.
Substituts cutanés biosynthétiques
Les substituts cutanés biosynthétiques représentent une avancée majeure dans le traitement des brûlures profondes. Ces produits, comme Integra® ou Matriderm®, sont composés d'une matrice de collagène et de glycosaminoglycanes, mimant la structure de la matrice extracellulaire du derme. Ils offrent plusieurs avantages :
- Reconstruction d'un néoderme fonctionnel
- Réduction de la rétraction cicatricielle
- Amélioration des résultats esthétiques et fonctionnels
L'utilisation de ces substituts permet une approche en deux temps : d'abord l'application du substitut dermique, puis, après intégration, la greffe d'épiderme fin. Cette technique est particulièrement utile pour les zones fonctionnelles et esthétiques comme le visage et les mains.
Thérapie par pression négative (VAC)
La thérapie par pression négative, ou système VAC (Vacuum Assisted Closure), est une technique innovante utilisée dans le traitement des brûlures. Elle consiste à appliquer une pression négative contrôlée sur la plaie, via un pansement spécial relié à une pompe. Les bénéfices de cette technique incluent :
- Réduction de l'œdème et amélioration de la perfusion tissulaire
- Stimulation de la formation du tissu de granulation
- Diminution de la charge bactérienne
- Accélération du processus de cicatrisation
Le VAC est particulièrement utile pour préparer le lit de la plaie avant une greffe, ou pour traiter des zones difficiles comme les brûlures périnéales ou les zones de jonction.
Utilisation de cellules souches en ingénierie tissulaire
L'utilisation de cellules souches représente une frontière prometteuse dans le traitement des brûlures étendues. Les recherches actuelles se concentrent sur plusieurs approches :
- Culture de kératinocytes autologues pour créer des feuillets épidermiques
- Utilisation de cellules souches mésenchymateuses pour leur potentiel régénératif et anti-inflammatoire
- Développement de matrices tridimensionnelles ensemencées de cellules pour recréer un équivalent cutané complet
Ces techniques d'ingénierie tissulaire offrent la perspective de créer des substituts cutanés plus fonctionnels, capables de se régénérer et de s'intégrer parfaitement aux tissus du patient. Bien que encore largement expérimentales, elles pourraient révolutionner la prise en charge des grands brûlés dans les années à venir.
L'avenir du traitement des brûlures repose sur une approche multidisciplinaire, combinant les avancées de la biologie cellulaire, de l'ingénierie tissulaire et de la médecine régénérative pour offrir des solutions personnalisées à chaque patient.